Erwin Kostedde
7.036
Minutes
58
Buts
3
Trophées
« Chez nous, Kostedde n’a plus besoin de courir, c’est suffisant s’il se retrouve dans la surface de réparation adverse et qu’il marque même avec son derrière… »
– Rudi Assauer, entraîneur Werder Brême (1980)
Dans l’histoire du Standard, l’attaquant Erwin Kostedde reste irrémédiablement lié à la conquête du triplé 69-70-71 sous la direction du grand René Hauss, bien plus qu’à son bref retour lors de la dernière saison du premier mandat de Robert Waseige en bord de Meuse (saison 78-79).
Le natif de Münster (Rhénanie-Westphalie) s’inscrit pleinement dans la lignée de ces bonnes pioches de Roger Petit qui n’avaient pas encore laissé de traces indélébiles en Bundesliga et qui ont profité de leur passage à Sclessin pour rebondir au sein de l’élite allemande au point de même s’ouvrir les portes de la Mannschaft (à l’instar de Bernd Patzke, Harald Nickel ou encore Heinz Gründel).
Pour Erwin Kostedde, enfant de l’après-guerre en Allemagne de l’Ouest, cette gloire sportive était d’autant moins évidente qu’un « détail » le distinguait des autres jeunes footballeurs : sa couleur de peau. Fils d’un GI qui est retournée aux USA et qu’il n’a jamais connu, le jeune métis doit grandir au sein d’une communauté plutôt conservatrice et… blanche.
« A Münster, le simple fait de vous promener en jeans suffisait déjà susciter des reproches, alors avoir une autre couleur de peau… », a-t-il résumé dans une interview accordée il y a une dizaine d’années au mensuel allemand 11Freunde (l’équivalent de SoFoot). « Après la guerre, nous étions trois métis à Münster et nous nous connaissions tous les trois. Le premier était enfant de chœur et a été tué dans un accident de la route après un enterrement. Le deuxième s’est noyé dans le lac Aa. Dès l’enfance, j’ai eu peur qu’un malheur ou une malédiction s’abatte sur nous. »
Erwin Kostedde a trouvé sa voie balle au pied. « Pour moi, il n’y avait que le football. Nous avions une équipe à l’école, et j’étais le meilleur. On le remarque tout de suite – même à dix ans. Je n’étais pas un bon élève et je n’avais pas non plus envie d’apprendre, mis à part la géographie. Je rêvais de l’Amérique… »
Ses premiers pas le mènent logiquement dans des clubs de Münster, à Saxonia puis au Preussen. « On me présente souvent comme un buteur, j’ai bien sûr toujours marqué beaucoup de but », poursuit-il dans les colonnes du magazine. « Mais j’ai toujours été heureux de participer au jeu, d’être impliqué. Bien sûr, en tant qu’attaquant, il fallait parfois rester devant et attendre, mais j’ai toujours eu du plaisir lorsque j’étais beaucoup dans le ballon. Et j’avais la technique, je n’étais certes pas le plus rapide, mais pour un bon contre, il faut avant tout être vif dans sa tête. »
Pris sous l’aile de l’ancien international « Fifi » Gerritzen à Saxonia, Erwin Kostedde profite des techniques du triple saut pour développer un mouvement particulier, toujours connu en Allemagne sous l’appellation « Erwin Shuffle ».. « « Fifi » avait lui-même été un grand ailier droit. Et je l’ai accepté à l’époque, je me suis entraîné pendant des heures jusqu’à ce que je maîtrise le truc. Beaucoup de membres de l’équipe avaient déjà abandonné… »
Par ses bonnes prestations en Regionalliga avec Preussen, il finit par attirer les regards du MSV Duisbourg, un des bons clubs de Rhénanie aux débuts de la Bundesliga. Sa première expérience avec la gloire a un effet dévastateur. « Là-bas, ça a vraiment bien commencé. J’ai reçu d’excellentes critiques. On s’extasiait sur le « nouveau Pelé », car la presse n’avait aucune autre référence à cause de ma couleur de peau. Plus tard, on m’a aussi appelé le « bombardier brun » par comparaison avec Gerd Müller. Je n’ai jamais aimé cette expression et on ne m’avait pas posé la question à l’époque. Cela a été lancé dans les gazettes et cela été repris… »
« A Duisbourg, après l’entraînement, comme cela se faisait autrefois, on allait boire un verre ensemble après l’entraînement. On se tenait au comptoir, puis l’un s’en allait, puis l’autre. Tout à coup, je me suis retrouvé seul. Mais qu’importe ! La chambre ne m’attirait pas, alors j’ai fait la fête et j’ai raté l’entraînement le lendemain. J’étais tout simplement trop jeune et seul. La gloire m’est montée à la tête et j’ai fait le tour des bars. Les ennuis avec mon entraîneur Gyula Lorant n’ont pas manqué. J’ai donc pris un congé sabbatique et je me suis enfui à Amsterdam en pleine saison. Je rêvais du championnat officieux aux États-Unis, mais je suis finalement revenu. Le public m’a tout de suite repris et m’a tout pardonné J’aurais pu faire mieux à Duisbourg et les gens là-bas l’auraient mérité. Le fait que j’ai repris le droit chemin m’a fait du bien. »
Le droit chemin a mené Erwin Kostedde au Standard en 1968… mais venir à Liège a été toute une histoire. «Je devais rejoindre l’Alemannia Aix-la-Chapelle », narre-t-il. « J’avais déjà eu un entraînement au Tivoli et le soir, je me promenais en ville. Soudain, une Mercedes s’est arrêtée à côté de moi et quatre Yougoslaves (NDLR : dont le manager Ljubo Barin) en ont jailli. « Tu es Erwin Kostedde ? » – « Oui ! » – « Tu peux jouer au Standard de Liège ». Je fais signe que non, puisque j’avais déjà signé avec l’Alemannia. Mais eux ont insisté : « N’importe quoi ! Qu’est-ce que tu gagnes ici ? À Liège, tu vas gagner 80.000 marks par an ! » (NDLR : 40.000 euros) Je me suis contenté de répondre : « Pardon ? » Et je n’ai pas pu résister non plus.»
J’ai habité dans la villa du mécène aixois de l’époque, un roi de la saucisse, j’ai juste attrapé ma carte d’identité et j’ai passé la frontière. On m’a caché une semaine à Knokke. Puis on m’a donné de l’argent et je suis parti en vacances pendant que les dirigeants d’Alemannia me cherchaient. Lorsque les deux clubs se sont mis d’accord, j’ai dû suivre un entraînement au Standard de Liège. À ma grande surprise, le contrat n’était donc pas encore conclu ! Le conseil d’administration réuni était présent. Heureusement, l’entraîneur René Hauss était bien intentionné à mon égard. Je m’étais peu entraîné et je manquais de condition. Il me plaça dans les seize et me fit traiter des centres. Léon Semmeling, international belge, de la droite, et Antal Nagy, international hongrois, de la gauche. Les centres arrivaient sur mesure et sur dix, j’en ai mis neuf dans le creux de la main. Tout le monde était stupéfait, et ensuite, je suis remonté dans les bureaux Là, les 80 000 DM en liquide étaient sur la table… »
Au Standard, Erwin Kostedde est censé pallier le départ de Roger Claessen, parti à… Alemannia. « A Liège, j’ai rapidement trouvé mes marques. Il faut aussi s’imaginer que j’étais pratiquement le seul joueur de l’équipe qui n’était pas international. Cela n’existait pas encore à l’époque en Bundesliga, où autant de footballeurs internationaux dans un même noyau. J’ai donc beaucoup appris en Belgique, notamment ce que cela signifie d’être un footballeur professionnel. II y avait notamment Milan Galic. J’ai fini par l’écarter de l’équipe à l’époque, il était déjà un peu plus âgé. Mais j’ai énormément appris de lui. »
Son parcours liégeois est entamé sur les chapeaux de roue : un premier but dès son premier match officiel en Coupe le 31 août 1968 contre le Racing Gand (D3) puis un triplé la semaine suivante en championnat contre l’Union (5-1), suivi d’un autre but lors du déplacement au Daring. Rattrapé par les démons de l’alcool suite à des problèmes d’ordre privé, sa saison est plus erratique. Il participe notamment au derby liégeois à Rocourt où son compatriote Rodekamp (3 buts) lui vole la vedette en inscrivant dans les derniers instants le but du 4-3 pour le RFC Liège alors que Kostedde pensait avoir sauvé un point en égalisant à 3-3 à la 86e… Il finit par être absent de nombreuses semaines parce qu’il a été envoyé secrètement en cure de désintoxication par Roger Petit. Il revient en forme en fin de saison et est notamment porté en triomphe sur les épaules des supporters lors du déplacement à Waregem le 17 avril 1969 où, outre le 2e but depuis son retour, il fête son premier titre de champion avec les Rouches. Participant à 15 matches sur 30 de championnat, il finit quand même avec ses 11 buts dans le top 15 du classement des buteurs dominé par son équipier Antal Nagy (20 buts).
Il refuse d’être naturalisé belge
En 69-70, son apport est encore plus limité avec 10 apparitions et 6 buts en championnat… dont un quadruplé contre le Racing White. Il se distingue en Coupe en inscrivant le but de la qualification à Charleroi à la 102e et son nom refranchit les frontières allemandes en inscrivant à Sclessin le seul but contre le Real Madrid. « Inscrire un but à Madrid constitue un souvenir impérissable. » Une blessure au genou le prive du rêve de disputer la Coupe du monde au Mexique avec la RFA. « La fédération belge m’a un jour demandé de me faire naturaliser mais j’ai refusé. J’avais une obsession : porter le maillot blanc avec l’aigle sur la poitrine. Certains ne comprenaient cette ambition parce que j’étais métis. »
Sa troisième saison est celle de la consécration avec 27 apparitions en D1 et 26 buts (en fait 27 mais sa rose à l’Antwerp a été annulée suite au forfait infligé au Standard pour avoir aligné trop d’étrangers), ne restant muet qu’à six reprises sur les vingt-sept matches. Erwin Kostedde a notamment inscrit l’unique but liégeois au parc Astrid, le 2-2 lors de cette victoire-clé dans un FC-Bruges-Standard de légende au Klokke (2-3) et surtout le doublé contre le Crossing pour le match du titre le 2 mai 1971 à Sclessin. Et même si Roger Petit clame dans les colonnes du Kicker qu’il a resigné pour une année de plus, Erwin Kostedde repart dans son pays pour jouer en… D2 au Kickers Offenbach qui paye 800.000 DM (NDLR : 400.000) pour le rapatrier.
Et en 1974, il réalise enfin son rêve : après avoir été élu but de l’année, il est appelé en équipe nationale pour un match le 22 décembre à Malte, en qualification pour l’Euro 76. On se situait alors juste après le Mondial 1974 alors que Gerd Müller avait pris sa retraite. Pour la première fois, un joueur de couleur portait le maillot de l’équipe nationale et un documentaire consacré à Erwin Kostedde pour ses 75 ans a été diffusé au printemps 2021 est revenu sur cette épopée. « Beaucoup me disaient aussi que j’étais fou de penser qu’un homme de couleur pourrait un jour faire partie de l’équipe nationale allemande. Je suis fier d’y être parvenu et d’avoir ouvert la voie à d’autres. Hélas, j’ai juste disputé trois matches sans marquer de buts. Les joueurs du Bayern Munich ou de Mönchengladbach se connaissaient bien et étaient donc bien rodés. Il y avait ces deux grands blocs à l’époque. Malheureusement, cela n’a pas suffi pour jouer plus de matches internationaux. Cela m’énerve toujours. J’aurais aimé en jouer plus et marquer des buts. »
A 32 ans, après une expérience ratée au Borussia Dortmund (où des supporters l’insultaient le traitant de sac à charbon), il revient au Standard en décembre 1978. Deux semaines après avir assisté à Standard-Berchem, il rejoue le 17 décembre 1978 à Sclessin contre Beveren (courte défaite sur un but d’Erwin… Albert). Il doit attendre le 11 mars 1979 pour marquer son premier but en D1 belge à Lokeren. En 15 apparitions, il marque 6 buts. Ses trois derniers sont synonymes de victoire à Charleroi, contre le RWDM (qui qualifie les Rouches pour la Coupe UEFA et sur le terrain du champion Beveren le 27 mai. « J’aurais aimé rester au Standard mais le nouveau coach Ernst Happel est arrivé avec Ralf Edström. J’ai compris que je n’allais plus être le premier choix. »
Erwin Kostedde a rebondi à Laval (où il a fini meilleur buteur de la Ligue 1 avec 21 buts en s’entraînant une seule fois par semaine en France !) puis en D2 au Werder Brême alors descendu en D2, qu’il contribue à faire remonter en D1 puis à qualifier pour l’Europe la saison suivant (81-82). « A mon âge, on me demandait juste de rester planté dans le rectangle. » Il finit sa carrière à Osnabrück qui est en quelque sorte l’étape de trop pour lui.
L’après-foot a été plus mouvementé. Il a notamment perdu l’argent de sa carrière dans des placements foireux conseillés par un agent peu scrupuleux. « Je pensais avoir bien placé l’argent pour qu’il résiste à la crise et j’en ai toujours rajouté. Malheureusement, j’ai souvent fait confiance aux mauvais amis. Aujourd’hui, je pense à quel point j’étais stupide à l’époque. » Cela lui a coûté sa maison.
Pire en 1990, il a passé 6 mois en prison pour un vol dans une salle de jeux, faits pour lesquels il a été totalement innocenté. « Cela a changé ma vie. Faites un séjour en prison innocent. La police et le parquet ont rassemblé des indices hallucinants contre moi. Tu es assis dans la salle d’audience et tu te dis : quel film se déroule ici ? Je ne pouvais quand même pas admettre ce que je n’avais pas fait. Toute l’accusation se basait sur des indices fantaisistes et s’est avérée être une farce au cours du procès. Mais vous pouvez être acquitté dix fois, ça reste. Personne ne me rendra ma réputation, et le pire, c’est comment ma famille a dû en souffrir. Je vous le dis très honnêtement : depuis 1990, l’ancien Erwin Kostedde est mort en prison. Aujourd’hui, lorsque le nom d’Erwin Kostedde est évoqué, l’histoire de 1990 revient toujours à la surface. Mais le footballeur Erwin Kostedde, qui a lui aussi accompli des choses, où est-il passé ? Cela n’a rien à voir avec les anciennes escapades et la perte de l’argent. Je ne veux rien enjoliver ici. C’était ma faute et je peux vivre avec. Mais je ne peux pas vivre avec la manière dont ma réputation a été détruite par une police négligente, un ministère public avide de profil et la presse à sensation. »
Aujourd’hui, Erwin Kostedde réside toujours à Münster malgré le décès de son épouse Monique il y a deux ans. Il promène son chien Jimmy. Des voix s’élèvent pour qu’on rebaptise le stade du Preussen où il aime encore traîner dans les tribunes quand le public y est admis…
(c) Philippe Gerday – décembre 2021
Date de naissance: 21 mai 1946, à Münster (All)
Nationalité: Allemand
Position: Attaquant
1e affiliation au Standard: 25 avril 1968 – 6 août 1971
2e affiliation au Standard: 8 décembre 1978 – 23 juillet 1979
Trophées avec le Standard: 3x Champion de Belgique (1969, 1970, 1971)
Matches internationaux / buts: 3 / 0
Carrière
Formation
1964 – 1965
Noyau A
1965 – 1967
1967 – 1968
1968 – 1971
1971 – 1975
1975 – 1976
1976 – 1978
1978 – 1978
1978 – 1979
1979 – 1980
1980 – 1982
1982 – 1983
M.S.V. Duisburg (ALL)
R. Standard C.L. (16)
Hertha Berlin S.C. (ALL)
Borussia Dormund (7)
S.G. Union Scholingen (ALL)
Stade Laval (FRA)
Werden Bremen (ALL)
Vfl Osnabrück (AUT)
Statistiques
Matches
Championnat de Belgique
Coupe de Belgique
Coupe de la Ligue
Coupes d’Europe
67
8
–
6
Buts
Championnat de Belgique
Coupe de Belgique
Coupe de la Ligue
Coupes d’Europe
49
7
–
2